« Ne te vante pas du sommet, c’est un plaisir vulgaire, il vaut mieux être celui qui n’est jamais allé si haut. Dans quelques décennies, ils seront des milliers à toucher le front de la déesse ». C’est le genre de conseils qu’à 70 ans il pourrait donner, Jean-Michel Asselin.
Ce printemps, ils étaient encore plus de 700 à fouler la cime à 8848 m, gavés d’oxygène et propulsés par un à deux sherpas. Il connaît la montagne depuis un demi-siècle, en tant qu’alpiniste, journaliste et écrivain. Son incroyable déveine à l’Everest, cinq tentatives pour cinq échecs, à une époque sans embouteillage ni cordes fixes, l’a rendu philosophe, l’animateur de Passion Montagne, tous les dimanches sur France Bleu.
Onze ans de psychanalyse
Et ce conseil, il le met dans la bouche de l’esprit d’Andrew Irvine qui hante son dernier roman. L’alpiniste anglais disparu en 1924, avec Mallory, sur l’arête nord du toit du monde, le murmure à son héros, Dani, en qui d’aucuns l’auront reconnu, « Jean-Mi ». Comme Irvine, on ne sait pas si Dani gravit vraiment le sommet. « L’Everest est cette montagne où chacun peut écrire son histoire et fait ce qu’il en veut » ironise l’auteur à qui il a fallu 11 ans de psychanalyse pour digérer la frustration de ses échecs et se targuer de son statut de « loser » magnifique de l’Himalaya.
L’histoire qu’il nous raconte là, s’achevant -ou pas- sur le toit du monde, c’est surtout la sienne. « Tout est vrai à 98 % » admet-il. Comme lui son héros est un rescapé du combat social qui rêvait d’un monde meilleur. Comme lui, il a commencé dans la presse militante, mené les combats écolos de son temps, Larzac, Malville, Seveso. Comme lui, enfin, l’air des hauteurs lui a donné l’illusion de pouvoir changer le monde. « Et venger sa lignée » de fils de prolo de Saône-et-Loire « qui rendit les armes du militantisme pour se donner sans limites à l’amour et aux montagnes ».
Une voie entre fiction et autobiographie
On retrouve son penchant pour les femmes et le sexe. La légende raconte qu’Asselin aurait atteint le 7e ciel depuis une tente à 7800 m d’altitude ! Et l’auteur démiurge fait vaciller le destin de son héros dans la face nord des Courtes, là- même où, en 1978, il perdit un compagnon de cordée, dans une ascension où l’erreur de jeunesse s’est payée cash. Ce drame incita Asselin à publier son premier article dans Alpirando. Quant à Dani, le deuil le pousse vers le Tibet en quête du corps d’Irvine.
Comme quoi l’auteur a peut-être raté ses Everest mais pas sa vie. Dans ses méandres, il a trouvé le miel de son meilleur roman. De la veine de ce que les Anglo-Saxons appellent un « page turner », nous hissant, de page en page, sans répit, avec le souffle court de l’ascensionniste privé d’oxygène.
Source: Le Dauphiné
Date de mise à jour : 06/11/24
Date de création : 08/06/22